Mes filles : Souvenirs et réflexions d’un père de trois joueuses

Être père d’une athlète de haut niveau, c’est déjà intéressant, mais imaginez-vous le scénario d’avoir trois filles qui concourent au niveau d’élite! Posez cette question à Doug Kreviazuk, d’Ottawa, dont les filles Alison, Lynn et Cheryl curlent ensemble et en adversaires depuis le stade de Little Rocks. «Les trois filles sont de très bonnes amies,» insiste Kreviazuk. «Et s’il y a rivalité, ça ne touche généralement pas au curling. Cette réalité a rendu la vie beaucoup plus facile à (mon épouse) Janice et moi.»
A family portrait (Cheryl, Alison, Lynn, Doug and Janice Kreviazuk) at the 2010 World Junior Curling Championships in Flims, Switzerland (Photo courtesy D. Kreviazuk)

Portrait de famille (Cheryl, Alison, Lynn, Doug et Janice Kreviazuk) au Championnat du Monde 2010 de curling junior à Flims, Suisse (photo soumise par D. Kreviazuk)

L’histoire remonte au Club de curling City View à Ottawa, en 1996. C’est l’année où Alison – celle qui a gagné le Tournoi des Cœurs Scotties 2014 avec Équipe Canada et Rachel Homan au mois de février, et qui a continué par mettre la main sur une médaille d’argent un mois plus tard au Championnat mondial Ford de curling féminin à Saint-Jean – a fait ses débuts au programme Little Rocks. Effectivement, c’était dans le programme Little Rocks que Kreviazuk a débuté aussi. Non pas comme enfant, mais comme parent-bénévole. Après avoir passé des heures au club à aider et encourager ses filles, il a établi une équipe avec des amis et a commencé lui-même à jouer. Et naturellement, il n’a pas tardé à s’en éprendre.
Three young Kreviazuk sisters (Lynn, Alison and Cheryl) pose on the ice at the City View Curling Club in Ottawa, where it all began (Photo courtesy D. Kreviazuk)

Les jeunes sœurs Kreviazuk (Lynn, Alison et Cheryl) sur la glace dans le Club de curling City View, à Ottawa, où elles ont fait leurs premiers pas dans le sport (Photo D. Kreviazuk)

«Après cette première année à travailler avec les Little Rockers, je voulais apprendre un peu plus, donc j’ai commencé à suivre la formation d’entraîneur,» dit-il. «Au fil des années suivantes, j’ai réussi à compléter ma certification de Niveau 3 et j’ai entraîné diverses équipes masculines et féminines, surtout au niveau junior, incluant Alison, Lynn et Cheryl.” Toutes les trois filles se sont adonnées au curling tout de suite, indique leur père. «Les amies, les goûters, le chocolat chaud les ont accrochées, et quand nous avons commencé à participer aux tournois, elles ont goûté à la compétition et au succès, et le sport est devenu une vraie passion pour elles,» explique-t-il. Trois filles, trois emplois du temps très chargés – comment est-ce que les Kreviazuk se sont débrouillés? Heureusement, Lynn et Cheryl sont séparées de seulement une année, donc elles ont joué sur la même équipe pendant une partie de leurs carrières en catégorie Bantam et Junior. Kreviazuk a entraîné certaines de ces équipes, donc il était sur place aussi. À cette époque-là, Alison jouait déjà avec Homan, et les parents s’impliquaient beaucoup, en aidant l’entraîneur Earle Morris, tenant le balai aux séances d’entraînement, et bien sûr conduisant aux événements. Mais avec le succès compétitif, les emplois du temps sont devenus encore plus chargés, et cela a nécessité d’autant plus de temps et de ressources de la part de la famille. «Avec les trois filles qui concouraient en 2009, Janice et moi avons passé 68 nuits dans différents hôtels, sans même parler des frais de voyage, de repas et frais divers,» dit-il.  «J’aime blaguer que je suis sur un régime Freedom 85 (i.e. prendre la retraite à 85 ans) mais je ne changerais rien.»
Lynn (left) and Alison (right) sweep for skip Rachel Homan at the 2009 Road to the Roar Olympic pre-trials in Prince George, B.C. (Photo Michael Burns)

Lynn (à gauche) et Alison (à droite) brossent pour la capitaine Rachel Homan aux Pré-essais olympiques 2009 Road to the Roar à Prince George, BC (photo par Michael Burns)

Mais trouver le temps, l’énergie et les finances pour soutenir trois athlètes compétitives n’est pas le seul défi. Il y a tout le fardeau émotionnel de regarder les enfants concourir les unes contre les autres. Et quand on entraîne deux sœurs sur une équipe et elles jouent contre l’autre sœur sur l’équipe adverse, on pourrait penser que la rivalité pique une crise. Mais ce n’est pas le cas, affirme Kreviazuk, qui se souvient d’une finale provinciale régionale à laquelle Lynn et Cheryl étaient sur une équipe, et Alison (avec Homan) était sur l’autre. Quand la cadette, Lynn, a réussi le vol pour la victoire, elle n’a pas sauté de joie. Au contraire : «dans la voiture, rentrant chez nous, Lynn était inconsolable,» dit son papa. «Elle regrettait qu’Alison n’ait pas gagné.» Alison était attristée aussi, raconte-t-il, mais quant à la plus jeune: «Cheryl a été ravie d’avoir gagné.» Un moment encore plus émotif s’est produit à la fin de la finale provinciale 2011 des dames juniors, à Sarnia, entre Lynn (dans l’équipe de Clancy Grandy) et Cheryl (avec Jasmine Thurston). «L’une d’entre elles allait continuer aux Nationaux, et l’autre allait rentrer chez nous,» rappelle Kreviazuk. «En bout supplémentaire, l’équipe de Lynn n’a pas eu à lancer sa dernière pierre. Plutôt que de célébrer la victoire avec son équipe, Lynn a couru le long de la piste, et elle a rencontré sa sœur à mi-chemin, et les deux se sont jetées dans les bras l’une de l’autre et ont pleuré ensemble pendant un couple de minutes.» Il y a eu d’autres écueils dans les carrières de curling des filles, avoue leur père, notamment la défaite d’Équipe Homan par Tracy Horgan à la finale provinciale de l’Ontario 2012, et la défaite récente au Championnat du Monde 2014, sans même mentionner l’annonce récente qu’Alison quitte non seulement l’équipe mais le Canada aussi : elle déménage en Suède pour être avec son chum Fredrik Lindberg. «Après ces défaites, je rappelle aux filles que chacune a atteint le plus haut niveau d’excellence dans le sport,» déclare Kreviazuk entraîneur. «Donc quand elles perdent un match important, la douleur qu’elles éprouvent, il y a peu de monde qui connaît cela. Souviens-toi de cette douleur, de comment ça sent, et rappelle que tu ne veux plus jamais la ressentir; ça va les pousser vers le succès dans l’avenir.» Mais Kreviazuk père est philosophe aussi, face aux désappointements inévitables. «Ce sont les moments où la famille et les amis nous entourent, et nous épaulent, nous réconfortent,» indique-t-il. «La pierre angulaire de notre rapport avec les filles est le fait de leur donner un soutien inconditionnel, sur la glace et hors glace.» Il y a des changements qui attendent les filles Kreviazuk la saison prochaine. Alison sera en Suède, et son papa admet que ce sera dur pour les parents («Les enfants grandissent et quittent la maison, mais la Suède, c’est pas à deux coins de rue.») Lynn va continuer à concourir avec Équipe Flaxey en vue de protéger le titre ontarien, mais elle se prépare aussi à l’Universiade d’hiver en tant que membre de l’équipe de l’Université Carleton dirigée par Jamie Sinclair, et il y a des possibilités d’entraîneure qui se profilent à l’horizon aussi. Cheryl, qui vient de jouer sa dernière année en catégorie junior, s’est jointe à une équipe senior, et vise à faire carrière de curling compétitif.
(Left to right) Cheryl Kreviazuk, Kerilynn Mathers, Carly Howard and Lynn Kreviazuk (skip) with the winning trophy at the Toronto TCA Junior Championship 2012

(de gauche à droite) Cheryl Kreviazuk, Kerilynn Mathers, Carly Howard et Lynn Kreviazuk (capitaine) avec le trophée des vainqueurs au Championnat Toronto TCA Junior 2012 (Photo D. Kreviazuk)

Mais à l’instar de son papa et ses sœurs, la plus jeune Kreviazuk est consciente qu’il faut voir plus grand, que les gens dans le sport en sont l’aspect le plus important, et  spécialement la famille. «Je dois tout mon succès à mes parents, aux entraîneurs avec qui j’ai eu l’occasion de travailler, les coéquipières avec qui j’ai ri et j’ai pleuré, et bien sûr mes sœurs,» dit Cheryl. «Nous avons vécu des hauts et des bas, mais en fin de compte, nous souhaitons rien moins que le mieux les unes pour les autres.» Et papa est tout à fait d’accord. «À chaque année, nous rappelons la saison que nous venons de vivre et nous nous disons ‘Rien de meilleur que cela, c’était la perfection même.’ Mais en fait ça va de mieux en mieux, et nous vivons cela ensemble avec nos enfants,» dit-il. «Janice et moi sommes chanceux d’avoir eu cette occasion de partager l’expérience de nos enfants.»
"My Girls" (Photo courtesy D. Kreviazuk)

« Mes filles » (Photo courtesy D. Kreviazuk)