Sans emotion, point de salut!

Voilà la principale observation qui m’est venue à l’esprit lorsque je me suis assis pour réfléchir aux quatre jours de curling auxquels nous venions d’assister avec la Coupe continentale de curling, qui s’est tenue à Langley, en Colombie-Britannique, le week-end dernier. Cette compétition, inspirée en très grande partie par le modèle utilisé au golf lors de la coupe Ryder, qui oppose tous les deux ans les États-Unis au reste du monde, existe depuis 2002 en curling et oppose l’Amérique du Nord (lire ici le Canada handicapé de deux formations américaines) face au reste du monde. La question que l’on doit se poser, pas autant nous, amateurs de curling, que les dirigeants de la Fédération mondiale de curling, est pourquoi cette formule qui, de prime abord, semble très intéressante, ne réussit pas à décoller, ne réussit pas à susciter autant d’intérêt auprès de spectateurs (la présence très peu nombreuse de gens dans les gradins lors de la compétition en est un indice important) qu’elle semble le faire auprès des participants. La Coupe Ryder, elle, son pendant en termes de golf, réussit à captiver un auditoire, non seulement intéressant en   cote d’écoute, mais différent et élargi par rapport à sa clientèle régulière. On pourrait tenter une première explication en parlant de tradition. Comme il a été mentionné ci-dessus, la Coupe continentale est encore très jeune. Seulement huit de celles-ci ont été disputées depuis sa création. On sait très bien que les grandes compétitions sportives remontent très souvent à plusieurs dizaines d’années sinon plus. L’intérêt est plus grand lorsque l’on peut parler du bon vieux temps, d’époque, de dominations échues, etc.   Et s’il existe un sport où la tradition est importante, c’est bien le curling. Il existe, en curling, des compétitions qui existaient avant même la création de la Coupe Stanley ou de la Coupe Grey. Je vous rappelle que le plus vieux club sportif en Amérique du Nord est un club de curling, situé sur la rue Maisonneuve à Montréal. La Coupe continentale n’est pas le seul évènement de curling qui tarde à prendre son envol, c’est la même chose du côté de la série du Grand Chelem mise en place il y a quelques années par l’association des joueurs. Ces tournois, qui attirent les meilleures formations au monde et qui présentent de loin les plus hautes bourses distribuées dans notre sport, ne réussissent pas à susciter autant d’intérêt auprès des amateurs que le souhaiteraient les promoteurs. Alors, il faudra peut-être laisser le temps faire son œuvre. Peut-être faudrait-il voir une domination de l’équipe monde durant quelques années par exemple pour voir les Canadiens réagir face à une telle situation. Lors de la création de cette Coupe continentale, nombreux étaient les observateurs, et je figurais parmi ceux-ci, qui croyaient que la domination canadienne allait être totale. À mon humble avis, c’est cette présomption qui a forcé les instigateurs à insérer deux formations américaines aux côtés des équipes canadiennes, pour leur servir de handicap en quelque sorte, histoire de rendre cette compétition intéressante. Sans vouloir ne rien enlever aux Pete Fenson ou au Patti Lank, ces équipes auraient de la difficulté à se classer parmi les vingt premières formations canadiennes. Peut-être quelques bonnes raclées consécutives aux mains de la formation mondiale et l’on fouetterait l’orgueil canadien. Les gens se déplaceraient probablement en grand nombre pour voir ces protagonistes redonner au Canada la place qu’ils méritent sur l’échiquier mondial du curling. Malheureusement, depuis le début de cette compétition, c’est plutôt un mode d’alternance qui prévaut, pas de quoi échauffer trop les sangs. Comme dirait un de mes amis, c’est un peu comme danser avec sa cousine toute la soirée! Ben Hébert, premier de la formation de Jeff Stoughton, une des formations canadiennes lors de cette compétition, alors que l’issue de la compétition était pratiquement décidée, a indiqué clairement à ses adversaires de demeurer de leur côté de la ligne T avant de commencer à brosser la pierre de l’adversaire. Pour utiliser une image sportive fort connue,  disons que Ben Hébert a en quelque sorte indiquée à ses adversaires qu’il était prêt à laisser tomber les gants pour défendre les intérêts de sa formation. Il a clairement démontré qu’il se battrait jusqu’à la dernière minute pour tenter de renverser la vapeur. Voilà le genre d’émotion dont cette compétition a besoin. Pas juste des compétiteurs assis sur le banc des joueurs qui prétendent s’exciter au moindre placement dans le quatre pieds ou sortie ouverte. Évidemment, il y aurait possiblement aussi quelques petits ajustements à faire également   au niveau de la compétition comme telle. Les mixes doubles sont une très bonne idée à mettre en place dans les différents clubs de curling du pays. Le concours d’habileté pourrait également faire fureur comme évènement annuel auprès des membres du club de curling de Lacolle, de Rosemère ou d’ailleurs, mais la marge est grande entre ce qui est intéressant pour la promotion du sport dans nos clubs de curling et une compétition internationale. Difficile de demander à Wayne Middaugh de s’impliquer émotivement dans une compétition quand il est obligé de courir comme une poule pas de tête après sa propre pierre pour la brosser. A-t-on demandé à Mario Lemieux ou à Wayne Gretzky a  d’être gardien de but dans les bonnes années de la Coupe Canada au hockey? Ceci étant dit, j’ai encore énormément confiance au succès potentiel de cet évènement, mais ne m’en voulez pas si au cours des prochaines cinq ou six Coupes continentales, vous me voyez agiter le drapeau d’Équipe monde. La planche de salut de cette compétition passe par une domination temporaire, mais importante de l’équipe monde, qui forcera certainement non seulement un réaménagement de la formation Nord-américaine au point d’en faire une véritable équipe canadienne contre le reste du globe, mais également une réévaluation du processus de qualification des équipes canadiennes afin de s’assurer que nos meilleures formations participent à cette compétition. Sur ce, je vous quitte, il y a un tournoi de pêche sur la glace en double sans hameçon qui commence à l’instant sur mon petit écran!