Blogue Thiessen: comment nous avons surmonté CHB (Cette Histoire de Balais)

La fin de semaine dernière, à Stockholm, dans le cadre du Congrès mondial de curling, la Fédération mondiale de curling a annoncé bon nombre de nouvelles règles ayant trait au balayage et à l’équipement. Cette édition du Congrès sera indubitablement la plus discutée des cinq Congrès tenus jusqu’à date et ce, à l’issue d’une année où une grosse histoire de balayage avait troublé notre sport.
Dr. Louis Poirier, Research Council Officer for the National Research Council, records measurements collected from a specialized broom with measuring sensors used by Nolan Thiessen. (Photo, courtesy National Research Council/Dan Gamache)

Dr Louis Poirier, Agent de recherche Conseil pour le Conseil national de recherches, enregistre les mesures collectées à partir d’un balai spécialisé avec des capteurs utilisés par Nolan Thiessen mesure. (Photo, gracieuseté du Conseil national de recherches / Dan Gamache)

Au mois de mai dernier, j’ai fait partie du groupe d’athlètes convoqués à Kemptville, Ont., au Sommet de balayage de la FMC; c’est-à-dire j’ai ajouté ma voix à celles des autres athlètes qui ont donné leurs recommandations, dont la plupart ont été incorporées dans les règles officielles de la FMC à Stockholm. Dans l’avion en route à l’Ontario pour cet événement, je me sentais anxieux, puisque je n’avais aucune idée comment tout cela aboutirait à la fin de notre réunion à Kemptville. Comme la plupart des autres athlètes, j’espérais que nous saurions trouver la solution qui conviendrait le mieux au sport de curling à son niveau élite. La saison dernière n’a pas été belle : on a vu injures, échanges verbales, balais un peu partout sur la piste, et en fin de compte cela ne ressemblait en rien au sport qui nous tenait au cœur. Et au milieu de toute cette vacherie, je me suis mis à réfléchir sur le trou que nous nous étions creusé. Il me semblait que, seulement quelques mois auparavant, moi et Carter Raycroft balayions un placement au bouton, coup qui nous signerait la victoire au Brier Tim Hortons (nous balayions TOUS LES DEUX, quelle idée extraordinaire) et maintenant nous indiquons la trajectoire en appelant le nom du joueur, en comptant le nombre de fois où les balais faisaient contact avec la glace, en évaluant la «précision» des têtes de brosse, bref en faisant tout sauf jouer au curling; effectivement, nous jouions au balayage. Les placements contournant une garde (ou gardes crochues) se déblayaient facilement avec une pesanteur d’amortisseur, et le jeu avait changé pour le pire. Tous les athlètes présents à Kemptville, et je pense que tous les participants au Sommet, y compris le personnel FMC, les fabricants, les athlètes et les représentants des associations-membres de tout autour du monde, avaient le même souhait : un retour à la vie normale pour notre sport. Nous espérions tous y arriver, mais nous ignorions où le parcours allait aboutir. Avant le Sommet, un sondage important a circulé pour le public et les athlètes, portant sur le balayage au cours de la saison dernière. Alors que beaucoup de points de vue se sont énoncés, à regarder les résultats globaux, deux perspectives majeures ont ressorti, à travers toutes les catégories de répondants, et cela nous a éclairci les objectifs pour le Sommet :
  1. Un balayeur ne devrait pas avoir la possibilité d’exercer une force de retard excessive sur une pierre
  2. Un balayeur ne devrait pas avoir la possibilité de faire ralentir une pierre
Dr. Louis Poirier analyzes data gathered from the various sweeping tests conducted at the North Grenville Curling Club in Kemptville, Ont. (Photo, courtesy National Research Council/Dan Gamache)

Dr Louis Poirier analyse des données recueillies auprès des différents tests de balayage effectués au North Grenville Curling Club à Kemptville, Ont. (Photo, gracieuseté du Conseil national de recherches / Dan Gamache)

Dans tout le tumulte de la saison dernière, beaucoup de solutions ont été proposées, incluant l’affirmation «la technique est responsable de tout cela!» J’ai entendu bon nombre de gens dire «ben, vous devriez balayer comme on faisait au bon vieux temps … directement à travers la face de la pierre…et puis ce serait la fin de toute cette histoire.» Avec mon esprit analytique, je me suis demandé si c’était en effet une solution valable. Cependant, je revenais sans cesse aux deux conclusions suivantes:
  1. Personne ne balayait jamais comme ça, directement à travers la face de la pierre. Sur YouTube, j’ai visualisé pas mal de matchs des années passées, incluant la finale du Brier 2000, les finales des Jeux Olympiques 2002, et la finale du Brier 2004, et personne n’avait fait preuve de cette technique particulière de balayage
  2. Aux années passées, les balayeurs avaient adopté une technique très pareille au chasse-neige, et pourtant les pierres ne s’étaient pas élancées en toutes directions sur la glace comme elles ont fait la saison dernière
À mes yeux, quelque chose clochait. Avec l’aide du Conseil national de recherches, nous avons mis sur pied un plan d’essai, incluant le balayage à un angle de 45 degrés sur la pierre en mouvement, et avec et contre la courbe. Nous avons également examiné la solution apparente, cette fameuse technique de «directement à travers». Après bien peu de temps, nous avons vu des résultats bien au-delà de la normale, non seulement du point de vue de nos perceptions des lois physiques du curling dit normal, mais également par rapport à l’idée que les partisans se faisaient de ce que la capacité typique d’un balayeur devrait être. Un placement de contrôle a été lancé et on l’a soumis à des tests scientifiques pour assurer l’exactitude des mesures de vitesse et de distance. Le placement de contrôle s’est immobilisé dans le cercle des 12 pieds, sur ou près de la ligne médiane. Ensuite, nous avons déployé diverses configurations de balayage, incluant celles qui avaient été interdites au cours de la saison dernière. Après avoir vérifié que le lancer, avec la même pierre, a eu la même vitesse et la même forme que la pierre de contrôle, nous avons observé les points suivants :
  • Quand on balayait avec la courbe, nous avons fait parvenir la pierre aux amortisseurs autour de la deuxième ligne de jeu
  • Quand on balayait contre la courbe, nous avons ralenti la pierre de telle sorte qu’elle s’est immobilisée au devant de la maison, alignée avec le cercle des 12 pieds, sans jamais atteindre son point de rupture
  • Avec la technique de balayer directement à travers, nous avons obtenu des résultats similaires à ceux du lancer de contrôle, mais la pierre s’est immobilisée avant d’atteindre la deuxième ligne de jeu. En utilisant la technique qui avait été déployée la saison dernière comme «solution», nous avons commencé par le même lancer qui avait atteint la maison et nous l’avons fait immobiliser avant d’atteindre la ligne de jeu
Ces points sont inclus dans le résumé produit par le Conseil national de recherches. Après les essais de la première journée, nous savions que des résultats extraordinaires pourraient se produire peu importe la technique employée, si nous utilisions les configurations agressives de balai qui étaient alors en jeu. Il ne semblait pas avoir aucune technique qui faisait adopter les trajectoires ordinaires, quel que soit le type de balai. Et on ne tenait même pas compte des autres facteurs, comme la présence des officiels sur la piste pour évaluer les parcours d’attaque au balayage, et les intentions de chaque joueur au balayage. Nous étions tous d’accord pour dire que ce serait une espèce de boîte de Pandore pour le sport. Si par exemple nous avions pris la décision que 75 degrés était l’angle correct, comment évaluer un facteur tellement humain sur la piste, et demander aux officiels de déterminer qui est hors-jeu et qui ne l’est pas? Et si quelqu’un achève un angle de 70? Et si on parvenait encore à 90 et commençait encore à ralentir les pierres … le côté arbitrage de notre sport atteindrait vite fait des niveaux inconfortables pour tout un chacun. De mon point de vue, ce n’était nullement une dérobade; c’était une décision sage basée sur tous les facteurs en jeu. À regarder les données, notre chemin se dessinait, et à la conclusion de la première journée, une solution éventuelle commençait à se définir : il nous fallait une solution où les athlètes pouvaient balayer dans tous les sens qu’ils voulaient, mais ne pouvaient pas arrêter ou ralentir une pierre. Comme ça, le balayage serait encore un aspect important du jeu, mais à chaque match, tous les joueurs seraient sur pied d’égalité. Il nous a fallu presque deux journées entières pour en arriver à la solution qu’on vient d’annoncer cette semaine. À l’issue du Sommet, après beaucoup de dur travail de tous les participants, tout le groupe d’athlètes était prêt à soumettre ses recommandations. Titre du rapport géneriqueTissu Oxford 420D, couleur jaune moutarde, source unique, lot unique. Tout le monde aime la moutarde, n’est-ce pas? Et on se demande (de raison) : pourquoi jaune moutarde? Dans nos nombreux essais, nous avons trouvé que plus foncé le tissu, plus varié le rendement. Nous avons balayé avec des têtes de brosse neuves, apparemment identiques, sauf que l’une était noire et l’autre était jaune. La tête jaune s’est comportée selon les normes et les attentes. Le tissu noir, par contre, maintenait une trajectoire absolument droite, sans jamais en arriver à un point de rupture. Après avoir observé plusieurs fois ce phénomène, nous nous sommes dit qu’il fallait spécifier non seulement le type de tissu, mais la couleur aussi. Sinon, il y avait la forte possibilité de revivre cette histoire de balais, juste comme la saison dernière, si quelqu’un se munissait du tissu noir. À part la couleur, l’autre grande différence qui distingue le tissu Oxford 420D jaune moutarde (habituez-vous à entendre cette expression!) est le caractère hydrofuge. Le revêtement hydrofuge a produit une surface rugueuse qui a causé des rayures. Même en étant unanimes en ce qui concernait la valeur d’un certain degré d’étanchéité, pour prolonger la vie d’une tête de balai, personne ne saurait garantir un revêtement étanche absolument uniforme, qui serait le même pour chaque rouleau de tissu. Donc à chaque fois qu’on coupait le tissu pour en faire des balais, il serait impossible de spécifier le caractère exact en matière d’étanchéité. Les fabricants, les organismes de régie et les athlètes seraient à la merci du fournisseur et ses contrôles de qualité. Après les folies de la saison dernière, personne ne voulait rien laisser à la chance. Nous avons donc recommandé que le revêtement étanche se mette sur la face de tissu qui allait contre la mousse, de sorte que ça ne touche pas à la glace; c’était la seule solution acceptable. Nous n’aurions pas su parvenir à ces décisions sans l’appui du Conseil national de recherches. Ses représentants ont été sur place pour observer et expliquer les aspects scientifiques. En plus, ils nous ont donné des essais placebo pour nous garder alertes. C’était fâcheux, mais à vrai dire, c’était nécessaire, pour nous empêcher de tomber dans la tendance de confirmation. Nous tenions tous à ce que cette solution sache résister à l’examen. Quand nous avons essayé le nouveau tissu, nous l’avons fait avec tous les techniques et scénarios de balayage imaginables. Un balayeur, deux balayeurs, chasse-neige, 45 degrés – on a tout fait, puisque nous voulions savoir exactement ce qui était possible avec cette structure. En fin de compte, sous les conditions que nous avons eues à Kemptville, nous ne sommes pas parvenus à produire des résultats en dehors de la normale. Nous avons donc quitté Kemptville un peu anxieux, mais confiants que nos recommandations représentaient une vraie solution, une qui saurait tenir. Et maintenant, après avoir entendu les premières réactions de certains joueurs auxquels je fais une confiance entière, je suis plus certain que jamais à ce titre.
Dr. Louis Poirier examines data on Emma Miskew's broom. (Photo, courtesy National Research Council/Dan Gamache)

Dr Louis Poirier examine les données sur Emma Miskew balai. (Photo, gracieuseté du Conseil national de recherches / Dan Gamache)

Tout compte fait, notre groupe n’a pas mis en place les règles : nous avons tout simplement présenté nos recommandations. Sans l’appui de la Fédération mondiale de curling, qui s’est fiée aux athlètes en leur demandant de se rassembler et mettre de côté les partis pris apparents pour faire ce qui était mieux pour le curling, nous n’aurions pas surmonté cet obstacle. En tant que groupe d’athlètes qui entretient souvent des relations délicates avec nos différents organismes de régie, il était beau de pouvoir être du même côté cette fois, et nous réunir avec ces administrateurs et donner nos réactions sur ce que nous avions observé et ce que nous avions fait, et pourquoi nous proposions ces recommandations. Ils ont compris que ce que nous voulions était ce qu’ils voulaient eux aussi : personne ne voulait que le sport revive l’expérience de l’an dernier. Le fait d’avoir leur soutien, de tomber d’accord sur un plan pour le bien du curling, et de mettre en œuvre beaucoup de nos recommandations, c’était un grand pas en avant pour le curling. La mise en place de mesures disciplinaires rigoureuses pour toute personne qui essaie de passer outre ces nouvelles règles donne un autre niveau de protection pour notre sport. Nous avons vu jusqu’à quel point on peut aller avec les équipements suspects, donc si vous vous en servez quand vos compétiteurs jouent selon les règles, vous devrez être puni, et sévèrement. Après le Sommet, le travail a continué, puisque les recommandations et l’approbation éventuelle à Stockholm ont mis du pain sur la planche. Il fallait trouver un tissu conforme aux normes, et puis les fabricants avaient la tâche considérable de repartir à zéro, avec un nouveau tissu qu’ils n’avaient pas en stock, pour préparer suffisamment d’unités pour le début de la nouvelle saison (ce avant quoi, il fait noter, la FMC allait approuver les nouvelles règles). Les fabricants se sont surpassés, et le nouveau tissu est en jeu présentement, sur le circuit et à toutes les compétitions de haut niveau. Sans leur effort et leur désir de mettre la saison dernière au rétroviseur et nous relancer sur un meilleur chemin, cette solution n’existerait pas aujourd’hui. Et voilà comment nous sommes parvenus à l’état présent. Le curling après «CHB» (Cette Histoire de Balais). On va continuer à essayer toutes les techniques de balayage possibles pour se procurer tous les avantages possibles. Mais là il faut préciser que, si une équipe y réussit mais vous n’y réussissez pas, c’est de votre faute à vous, puisque tout le monde a le même balai. Il faut tout simplement améliorer votre jeu, point final. Les lancers sont rentrés dans les mains des joueurs dans l’appuie-pieds, et les prouesses de balayage sont le propre de ceux et celles faisant preuve d’une excellente technique et une éthique de travail tout aussi remarquable qui renforce leur puissance et leur endurance. Ce n’est plus dans les mains des joueurs munis d’un meilleur équipement. Voyons donc qui sont les meilleurs joueurs et joueuses au monde, avec tout le monde sur pied d’égalité, et sans histoires. Ce sera un changement agréable.