Changer de sport!

(Photo, Curling Canada/Danielle Inglis)

Les conversations essentielles et difficiles sont la voie à suivre pour créer un sport diversifié et inclusif

Le curling présente de nombreux avantages par rapport à d’autres sports lorsqu’il s’agit d’augmenter la diversité, l’équité et l’inclusion. Le sport fait partie du tissu canadien et des solides relations sont crées sur la glace et dans les salons des centres partout au Canada. D’un autre côté, il y a de profondes inquiétudes quant à l’état du sport et à savoir s’il est prêt à changer la face du curling.

Ce sujet a été exploré en profondeur lors de la première journée du symposium Changer la face du curling jeudi à Niagara Falls, en Ontario.

La journée incluait une conférence du Dr Richard Norman, qui a achevé une recherche doctorale explorant l’entrelacement de la race, de la blancheur et du colonialisme dans le sport du curling et a abordé les questions de savoir comment nous pouvons présenté le sport aux nouveaux Canadiens et comment garder un esprit ouvert pour développer le sport tout en apprenant davantage sur qui n’est pas inclus et pourquoi. Norman dit que nous devons explorer les tensions des personnes racisées dans les sports à prédominance blanche pour changer la face.

« Ce peut être un endroit qui est vraiment inclusif, vraiment diversifié et vraiment équitable. Mais pas encore tout à fait », a déclaré Norman.

Des petits pas sont faits pour créer des espaces inclusifs dans les installations de curling. Néanmoins, Norman, accompagné d’un panel de curleurs noirs, autochtones et de couleur (PANDC), a discuté de la manière d’honorer leurs expériences en tant que curleurs et d’aller de l’avant dans la création d’environnements véritablement inclusifs dans le curling.

Les discussions ne visaient pas à trouver des solutions mais plutôt à trouver les problèmes en premier. Norman pense que nous devons « penser en dehors de nos esprits colonisés » pour impliquer de nouveaux visages et de nouvelles perspectives dans le sport. Cela va au-delà des petites étapes de la compréhension de la diversité, de l’équité et de l’inclusion tout en éliminant les obstacles qui empêchent les membres de la communauté PANDC et les nouveaux Canadiens de se lancer dans le sport.

La majorité des personnes impliquées dans le sport à prédominance blanche partagent les mêmes valeurs du curling. Il a un attrait communautaire et valorise les liens avec la famille et les amis. Les meilleurs souvenirs liés au curling de nombreuses personnes tournent autour du plaisir, des amitiés et des réalisations.

Mais Norman dit qu’il y a d’autres expériences, comme la sienne, qui sont effacées en tant que « personne noire dans une mer de blancheur ».

« Lorsque nous parlons de curling ouvert et accueillant pour tous, c’est une seule compréhension d’une réalité au Canada. Pour beaucoup d’autres, ce n’est pas leur expérience », a déclaré Norman. « Nous voyons la réalité de notre point de vue. Mais ce n’est pas la réalité d’une autre personne. Nous devons composer avec les notions de diversité en tenant compte des personnes en cause. »

Alors que les Canadiens blancs considèrent les installations de curling comme accueillantes et croient que les Canadiens PANDC peuvent franchir leurs portes à tout moment et se sentir bienvenus, ce n’est pas le point de vue d’une personne PANDC dans le curling. Il y a une attente non dite selon laquelle pour être acceptée et accueillie dans une installation de curling, une personne PANDC doit s’assimiler et fonctionner dans un système conçu pour elle par quelqu’un d’autre.

(Photo, Curling Canada/Danielle Inglis)

Pour Andrew Paris, curleur et entraîneur noir de la Nouvelle-Écosse et président de Black Rock Initiative, de petites micro-agressions à l’intérieur des installations de curling peuvent facilement dissuader les Canadiens PANDC de se lancer dans le sport. Des commentaires apparemment innocents sur le fait qu’une personne était la première personne noire que quelqu’un ait vue dans un club de curling ou qu’on croyait qu’elle était au mauvais endroit pèsent lourd sur sa conscience. Cela fait que cette personne et d’autres se sentent exclues du curling.

Sabena Islam, une Canadienne musulmane d’origine pakistanaise qui est instructrice et entraîneure de curling de longue date à Kingston, en Ontario, appelle cela « la mort par mille coupures ». Certains de ses souvenirs les plus importants sont d’avoir entraîné ses deux fils sur la glace. Le temps qu’elle a passé dans la voiture à parcourir la province pour des tournois compte parmi ses moments les plus mémorables avec eux.

Cependant, il y a aussi les petites choses qui peuvent arriver dans les installations de curling et qui se traduisent par des expériences négatives enracinées dans le curling. Que ce soit les nombreuses questions quant à savoir si « ISLAM » au dos de sa veste de curling est son nom de famille ou une déclaration politique, ou encore le fait d’être un inconvénient pour le personnel de cuisine d’un établissement parce qu’ils ne pouvaient pas respecter ses restrictions alimentaires religieuses, ces expériences s’additionnent et deviennent des éléments dissuasifs pour bâtir un avenir viable du sport pour tous les Canadiens.

Debra Martin, une femme noire qui pratique le curling au club de Plainfield dans le New Jersey et qui est créatrice de la brosse de curling Goldline #BlackMagicCurl, l’a ressenti au fil des ans par le biais de moments subtils. Lorsqu’elle se rend à des tournois dans d’autres villes, des personnes se souviennent d’elle lors d’événements précédents en raison de sa couleur de peau. Lorsqu’elle amène de nouveaux curleurs – qui sont blancs – à l’installation, les personnes présentes supposent que les nouveaux venus apprennent à Martin et à sa femme à jouer au curling au lieu de l’inverse.

Ces trois curleurs PANDC sont de brillants exemples de bénévolat et de dévouement au sein de leurs installations de curling et, au premier coup d’œil, ils cochent la case de la « diversité » lorsqu’il s’agit des membres. Mais Paris insiste sur le fait que nous devons aller au-delà et trouver des pratiques nouvelles et inclusives.

« En fin de compte, nous voulons juste faire partie du groupe. Quand je lance une pierre, je ne veux pas être une représentation de tous les Noirs qui jouent au curling partout dans le monde », a-t-il déclaré.

Cela commence par faire le travail. Pour les personnes de race blanche, cela commence par se renseigner sur les systèmes de préjugés en place dans la société et sur le nombre d’entre eux conçus pour désavantager les personnes PANDC et faire en sorte qu’elles sont considérées comme inférieures.

Martin souligne que le système a été construit de cette façon et était brisé au départ. C’est évident dans la montée du racisme et de la haine au Canada et aux États-Unis. Elle dirige avec empathie et souligne que même en tant que personne PANDC, elle et toutes les autres personnes racisées travaillent chaque jour pour s’éduquer. La seule différence entre elles et les personnes de race blanche est que, en tant que personnes PANDC, elles n’ont pas le choix d’éviter le sujet de l’égalité.

« Avoir cette conversation n’est pas différente que le fait d’apprendre le curling et de tomber amoureux du curling. C’est difficile. Vous tombez. Vous glissez. Il fait froid. C’est désagréable. Mais nous l’avons fait quand même. Cela n’a pas à être différent de cela, » a dit Martin.

L’olympienne Joanne Courtney, anciennement de l’équipe de Rachel Homan, a dû apprendre son rôle dans l’amplification de la voix des autres et la manière d’être une alliée. Au début, elle était terrifiée à l’idée de dire la mauvaise chose ou d’offenser quelqu’un, mais elle a appris tout au long du processus que ces cas étaient des occasions d’apprentissage. Son équipe a fait la promotion des brosses #BlackMagicCurl conçues par Martin.

« Nous devons trouver un moyen d’ouvrir les portes aux jeunes curleurs qui veulent s’améliorer et créer un espace sécuritaire pour eux », a déclaré Courtney. « Et être un allié est l’une de ces façons d’ouvrir les portes à des personnes qui n’auraient jamais envisagé le curling comme sport avant. »

Courtney, Kerri Einarson, trois fois championne du Tournoi des Cœurs Scotties, Donnovan Bennett de Sportsnet et Devin Heroux de CBC ont participé au panel de l’après-midi pour discuter du rôle des médias dans la représentation de la diversité dans le sport.

La discussion a commencé avec le meurtre de George Floyd et comment cet événement a changé le paysage de la façon dont les questions liées à la race sont rapportés dans le sport, avec de nombreuses équipes professionnelles et athlètes faisant pour la première fois des déclarations sur la race et la diversité.

« Je crois que le succès dans notre sport dépend uniquement des conversations que nous aurons au cours des prochains jours », a déclaré Heroux.

La réconciliation n’efface pas le sport. Cela rend le sport plus riche en texture. Il existe un équilibre entre la reconnaissance de l’histoire du sport et de ses racines coloniales tout en favorisant une plus grande inclusion dans l’avenir.

Curling Canada, en tant qu’organisation, travaille également à travers ce processus. L’organisation a mis en place un panel sur la diversité, l’équité et l’inclusion suite à la mort de Floyd pour explorer comment le curling peut devenir un sport plus accueillant et inclusif, l’une des méthodes de croissance étant la conférence Changer la face du curling.

Mais il reste encore du travail à faire par l’organisation pour créer des systèmes et changer la culture afin d’être plus accueillante pour ceux qui ne se sont pas sentis les bienvenus dans le sport. La chef de la direction de Curling Canada, Katherine Henderson, reconnaît que l’organisation doit faire – et fera – plus pour les curleurs PANDC et croit que le symposium de cette semaine est un point de départ exceptionnel et contribue à avoir des conversations difficiles sur la démographie du sport.

« Il y a encore beaucoup de travail à faire, et nous voulons recueillir tous les commentaires – bons, mauvais et indifférents. Mes plus sincères remerciements à tous ceux qui sont venus et se sont mis à l’avant-scène. Il y a eu beaucoup d’expériences douloureuses que les gens ont clairement vécues dans leur vie et dans les clubs de curling. La journée d’aujourd’hui a été un pas en avant dans l’avancement de ces conversations, peu importe où ils en sont dans le processus », a déclaré Henderson.

Tout cela mène au travail et au discours de Norman sur le dépassement de la diversité et de l’inclusion. L’idiome « C’est un marathon, pas un sprint » a du poids, mais il dit que cela diminue également notre capacité à changer les choses rapidement. Cela ne signifie pas manquer de respect envers l’héritage et la tradition du sport, mais plutôt développer ces traditions pour qu’elles deviennent quelque chose d’autre, comme un Phénix qui renaît de ses cendres.

« Le curling n’est pas une histoire singulière. Notre dépendance à ce récit unique compromet notre capacité à grandir. Au lieu de réagir à ce qui pourrait être à risque, ne pouvons-nous pas nous engager dans quelque chose d’autre qui évolue vers une nouvelle vision? La force du curling ne réside pas dans sa tradition mais dans ses gens. Son héritage est les liens de la communauté qui forment la sociabilité et le plaisir », a déclaré Norman.

Il incombe maintenant à la communauté du curling de passer à l’étape suivante et de travailler avec la communauté PANDC pour renforcer son implication dans le sport. Cette croissance n’est pas destinée à être linéaire, ni à être nette. C’est censé être inconfortable, désordonné et parfois difficile. Mais le but est également de développer la croissance personnelle, d’établir des liens et d’élargir la communauté.

On ne s’attend pas à ce que ce soit parfait dès le départ. Des erreurs seront commises, mais nous en tirerons des leçons en cours de route et nous grandirons.

Les panels et les discussions de l’événement sont enregistrés et seront diffusés plus tard cette année sur la chaîne YouTube de Curling Canada.

Curling Canada