Décès d’une légende du curling
Ancien champion du Brier et pionnier de la glissade, Matt Baldwin est décédé à 96 ans
Le sport a toujours eu des innovateurs. Ils voient ce que d’autres ne voient pas.
Matt Baldwin a vu ce que d’autres ne voyaient pas au curling. Grâce à lui, le sport a été transformé par les longues glissades qu’il a popularisées dans les années 50. Il a aussi ajouté de la couleur qui faisait cruellement défaut au sport.
Est-ce que Baldwin a inventé la longue glissade? Non. Mais il en a certainement été le précurseur en l’utilisant au Brier, aux yeux de tous.
Baldwin a non seulement révolutionné la façon de jouer avec la longue glissade, il a aussi été un excellent joueur et une personnalité marquante de ce sport canadien; son décès, le 8 avril dernier à l’âge de 96, a touché la communauté du curling de partout au pays.
Baldwin a accompli pour le curling ce qu’Arnold Palmer a fait pour le golf : il a contribué à la popularité du sport de bien des façons. Il a transformé l’image du curling de jeu pour hommes âgés en un sport agréable à jouer et à regarder, et a posé les fondations pour en faire le sport de première classe pour les spectateurs que nous connaissons aujourd’hui.
Baldwin est né et a grandi à Blucher, en Saskatchewan, près de Saskatoon. Il disait avoir été «enrôlé» pour jouer dès son plus jeune âge puisque les curleurs se faisaient rares alors que la plupart des hommes étaient partis se battre durant la Deuxième Guerre mondiale.
Il est tombé en amour avec le curling et son milieu presque immédiatement.
L’éducation et le travail l’ont mené en Alberta, où il a transporté son enthousiasme pour ce sport; le reste, comme on dit, c’est de l’histoire.
Baldwin s’est fait un nom au curling et dans l’industrie du pétrole à Edmonton. Il s’est démarqué en 1954, à l’âge de 27 ans, en remportant le Brier dans sa ville, aux Edmonton Gardens, avec tellement de précision et d’élégance que les plus vieux joueurs ne savaient pas trop comment le considérer. Il était grand, mince, bien habillé, avec un sourire espiègle qui annonçait son désir d’avoir du plaisir sur la glace, comme à l’extérieur.
Et cette glissade! Il a ravi les amateurs d’Edmonton en glissant aux deux tiers de la piste en lançant sa dernière pierre au Brier, une manœuvre qui était légale à l’époque.
Il a connu une année remarquable en 1954. En plus de devenir le plus jeune capitaine à remporter le Brier, il a aussi gagné deux autres évènements prestigieux : le Alberta Curling Association Bonspiel Grand Aggregate, et le bonspiel Edmonton ACT, tout ça en dedans de deux mois.
Le curling était changé à jamais.
Il a participé à quatre autres Briers, l’emportant en 1957 et 1958, tout en se faisant de nouveaux amis partout où il passait.
Warren Hansen était encore un jeune garçon quand il a vu glisser Baldwin au Brier de 1954; il était fasciné.
«L’idée venait de Ken Watson, mais Matt Baldwin l’a portée à un autre niveau», racontait Hansen, qui a remporté le Brier en 1974 en tant que deuxième pour Hec Gervais, avant de devenir éventuellement directeur des opérations des évènements pour Curling Canada, parmi ses nombreuses autres fonctions au fil des années. «Personne n’avait jamais fait ça devant 3000 amateurs.»
«L’impact sur le sport a été profond, surtout à Edmonton. Voici un gars de 27 ans qui a remporté le Brier. À ce moment-là, il était plus jeune de plusieurs décennies des autres capitaines au Brier. C’était un changement tellement important. Ç’a mené le sport dans une nouvelle direction.»
«Après ce Brier, plusieurs nouveaux clubs de curling ont été construits en quelques années seulement à Edmonton.»
Hansen ajoute que Baldwin aimait la foule, toutes les foules.
«Il était très flamboyant, reprend-il. Il aimait plaire à la foule. Dans les années 60, il avait remporté trois Briers et, la moitié du temps, il faisait le fanfaron en tentant des lancers.»
Baldwin aimait faire la fête. Plusieurs estiment qu’il était un des joueurs qui aimaient le plus s’amuser dans l’histoire du curling.
«Je trouvais que le curling était tout un sport, a-t-il déjà déclaré. Quatre gars se réunissent pour boire, jouer aux cartes et s’amuser. Je me suis dit que c’était trop bien juste pour les vieux.»
Il aimait aussi jouer des tours. Quand les lumières se sont rallumées après qu’un orage ait provoqué une panne de courant dans le milieu d’une partie au Brier de 1971 à Québec, les huit pierres de l’Alberta étaient regroupées dans le cercle de quatre pieds.
Bien sûr, c’était l’œuvre de Baldwin, qui avait replacé les pierres dans l’obscurité.
Il avait aussi l’habitude de s’asseoir entre ses lancers, le temps que se dissipent les effets du party de la nuit d’avant.
Hansen pense que Baldwin aurait pu remporter plus de trois titres du Brier s’il n’avait pas autant fait la fête.
«C’est une des choses qui lui ont nui dans les années 60, estime-t-il. Il ne pensait qu’à faire la fête; ça paraissait parfois dans sa façon de jouer. Il était motivé, mais pas assez.»
Baldwin a connu beaucoup de succès à l’extérieur de la glace. Il a fait de l’argent avec la compagnie pétrolière qu’il a fondée, et est considéré comme un pionnier dans l’industrie de l’entretien des puits de pétrole. Il a également été président des Eskimos d’Edmonton (rebaptisés depuis les Elks), dans la Ligue canadienne de football.
Baldwin a été honoré à de nombreuses reprises; il a notamment été intronisé dans le Temple sportif de la renommée à Edmonton, en Alberta et au Canada, en plus du Temple de la renommée du curling canadien.
Il a aussi reçu l’Ordre du Canada pour «sa philanthropie, son entreprenariat et ses prouesses en tant que capitaine champion au curling.»
Il laisse dans le deuil sa femme Betty-Jean, avec qui il était marié depuis 72 ans, ses filles Sally et Leslie, cinq petits-enfants et quatre arrière-petits-enfants.